À propos de foot – Une histoire de foot…

Extraits de Les origines dans Le football, ombres et lumière, Eduardo Galeano, 1995 ; et inspiré par “Une histoire populaire du football” : comment le ballon rond a accompagné les luttes sociales, interview de Mickaël Correia par Julien Rebucci, Les Inrocks, 8 mars 2018.

Pour le football, comme pour presque tout le reste, les premiers furent les Chinois. Il y a cinq mille ans, les jongleurs chinois faisaient danser la balle avec les pieds, et c’est en Chine que, plus tard, furent organisés les premiers jeux. Il y avait une barrière au centre, et les joueurs, sans se servir de leurs mains, évitaient que la balle ne touche le sol. La coutume s’est perpétuée de dynastie en dynastie.

Dessin Claude Serre

On sait que dans l’Antiquité les Égyptiens et les Japonais jouaient à donner des coups de pied dans le ballon. Sur le marbre d’une tombe grecque datant de cinq siècles avant Jésus-Christ, on voit un homme qui fait rebondir un ballon sur son genou. Dans les comédies d’Antiphane, on trouve des expressions révélatrices : balle longue, passe courte, balle en avant… On dit que Jules César était assez bon des deux jambes, et que Néron n’en mettait pas une : quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que les Romains jouaient à quelque chose qui ressemblait assez au football pendant que Jésus et ses apôtres mouraient sur la croix.

C’est avec les pieds des légionnaires romains que la nouveauté arriva dans les îles britanniques. Des siècles plus tard, en 1314, le roi Édouard II frappa de son sceau une cédule royale qui condamnait ce jeu plébéien et perturbateur, “ces escarmouches autour de ballons de grande taille, d’où résultent bien des maux que Dieu ne peut permettre”. Le football, qui désormais s’appelait ainsi, laissait une belle collection de victimes. Il se disputait en masse, sans limite de joueurs, ni de temps, ni de rien.

Des villages entiers s’affrontaient, en poussant le ballon à grands coups de pied et de poing vers le but, qui à l’époque était une lointaine meule de moulin. Les parties se déroulaient sur plusieurs kilomètres, durant plusieurs jours, et coûtaient plusieurs vies. Les rois interdisaient ces aventures sanglantes : en 1349, Édouard III inclut le football parmi les jeux “stupides et d’aucune utilité”, et il y a des édits signés contre ce jeu signés par Henri IV en 1410 et Henri VI en 1447. Plus on l’interdisait, plus on y jouait, ce qui ne faisait que confirmer le pouvoir stimulant des interdictions.

Au XVIIème siècle, pour contrer le mouvement des “enclosures” que Karl Marx analysera plus tard comme l’une des étapes fondatrices du capitalisme industriel : l’accaparement des terres par la bourgeoisie, les paysans organisèrent la lutte grâce à ces parties géantes de football ! Ils profitèrent de ces matchs pour arracher les clôtures des champs et ralentir les privatisations.

Dessin Claude Serre

Au XVIIIème et XIXème siècle, les élèves des écoles privées victoriennes anglaises s’approprièrent ces jeux populaires de ballon. Les maîtres qui observaient cette jeune bourgeoisie s’adonner à ce jeu violent cherchèrent à l’encadrer. Une sorte d’opportunisme pédagogique où ils se dirent : “Si l’on codifie ce jeu, cela peut leur inculquer de bonnes valeurs” que l’on retrouvera lors de la révolution industrielle anglaise : l’esprit d’initiative, de compétition, l’obéissance au chef, etc. Au début, chaque école avait son “jeu” de football. Quand ces élèves-là se retrouvèrent dans les mêmes universités, ils voulurent organiser des tournois pour se départager. Mais comme chacun avait ses propres règles, ils commencèrent à unifier et codifier le jeu, en 1863, autour de 17 grandes lois.

Devenus grands patrons d’industrie, ils diffusèrent les règles du football parmi leurs ouvriers avec toujours cette idée de leur inculquer des valeurs. Mais cette fois, il s’agissait de la division du travail. À l’usine comme sur un terrain de foot, la logique devint : “Chacun à son poste”, sans oublier le respect de l’autorité, etc. Le football servit donc d’abord de moyen de contrôle social car le but du patron était clair : à la sortie de l’usine il ne fallait pas que ses ouvriers aillent boire dans les bars ou décident de s’organiser en syndicats. Mais le plaisir du jeu apparut progressivement et les ouvriers s’accaparèrent petit-à-petit la pratique sportive.

Ce sont des grands patrons qui financeront les premiers grands clubs de football en Angleterre. Tout cela allait faire figure de terreau d’une “culture ouvrière” et participer à créer une conscience de classe, un sentiment de fierté et d’appartenance.

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