Cabaret d’urgence – 2001 – L’article de Politis

Enfants de troupe

Politis jeudi 8 novembre 2001

La compagnie Jolie Môme a organisé un  » Cabaret d’urgence  » afin de mobiliser pour la paix. Un joyeux succès.

« Le théâtre est un bon moyen de dire les choses, sans se faire arrêter tout de suite » : ce propos d’une jeune comédienne de la troupe Jolie Môme dit bien le rôle que les artistes s’attribuent. En plein Vigipirate, dans un climat de surenchère sécuritariste sur fond de bombardements, ces gens de théâtre et de chant révolutionnaire ont réalisé un Cabaret d’urgence à la Cartoucherie de Vincennes. Un geste d’intervention citoyenne, mi-jouée, mi-chantée, où les comédiens ont su attirer intellectuels, politiques, militants et un public jeune et chaleureux, forte illustration de cette mobilisation pour la paix.

Dans un décor simple faisant penser à un entrepôt ou à une barricade, des jeunes comédiennes brunes vétues de combinaisons de travail blanches, savamment dépareillées par des Keffiehs, des bandes molletières ou des foulard rouges, font irruption derrière un drapeau – rouge lui aussi -, mi-troupe d’insurgés, mi-service de secours théâtral pour public en danger. Le choeur d’interposition égrène les noms de dizaines de pays victimes d’interventions militaires des Etats-Unis. Dans un coin, une petite formation musicale assure le swing. Un bourgeois en costume, sur le devant de la scène, tient des propos incroyables mais vrais, verbatim de Bush, de ses conseillers, parfois de prédicateurs fanatiques. Leur succède un accordéoniste ou un représentant du syndicat de la magistrature ; suit une séquence vidéo désopilante dans laquelle les images de Robert Hue côtoient des extraits de Rambo en Afghanistan…

Le cabaret remporte un tel succès que le théâtre de l’épée de bois refuse du monde. les artistes, eux s’approprient l’actualité, composent, répètent dans l’urgence. Si les interventions tripales de l’accordéoniste accompagnent naturellement les respirations de l’âme humaine, le soufflet de l’instument populaire invite à l’engagement. D’autres habitués du théâtre social, politiques, journalistes et magistrats, etc.,happés par l’irruption des comédiens dans « leur » sphère, se laissent convaincre d’aller sur les planches. Certains y ont pris des risques : la descente des marches, jupe fendue, par une ex-députée européenne, Aline Paillet, suivie de sa déclamation d’extraits d’Olympe de Gouges et de Jaurès, était une irruption théâtrale forcément politique.  » C’est ma nature ! déclarait fièrement l’Esméralda d’un soir, rester vivant, voilà l’enjeu. » Plus discret, un intellectuel de renom, qui a pris une part importante du travail en coulisses, se félicite du résultat : « Les artistes sont plus éfficaces que les ouvrages sèrieux ou des colloques que nous aurions pu monter. Ils avaient des idées auxquelles je n’avais pas pensé. Je me demande parfois si ce ne sont pas eux qui sont en avance… »

On reproche parfois à la troupe un côté  » théâtre officiel de la chine populaire à l’usage de la rue Mouffetard ».

Certes, mais le kitsch de Jolie Môme, qui s’appuie sur des valeurs de rue et une réthorique marxiste sûre et dure, c’est aussi son audace :  » il faut avoir un réflexe de solidarité prolétarienne. Quel autre mot que « prolétaire » pour dire que je me sens proche des ouvriers des ascenseurs de Calcutta qui ont été torturés par la police avec l’aide de leur patron, pour avoir fait grêve ? », tranche Michel, l’animateur de la troupe. Dans ce bouillonnement et sa générosité, Jolie Môme s’est un peu oubliée… »on a même pas pensé à faire savoir que nous jouions Barricade et La Crosse en l’air en novembre ici… », s’inquiète soudain Michel quand les derniers invités se sont retirés. Mais ils n’ont pas oublié de parler de la lutte des intermittents, car, bien sûr, Jolie Môme n’est pas subventionnée par le ministère de la culture, elle vit de la rue et les comédiens ont un statut menacé. Urgence partout !

David Langlois-Mallet.

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