2003 – Le monde ne sera sauvé que par des êtres insoumis

LutteInter-Manif-JulienCassagne-2003 » Le monde ne sera sauvé que par des êtres insoumis  » André GIDE

Tu fais grève, tu crèves, tu fais pas grève, tu crèves quand même ! Alors, autant se payer le plaisir (!) de faire grève avant de « peut-être » disparaître. De plus, soyons humbles, même si on ressent une satisfaction certaine à se dire insoumis, dans notre société, être insoumis ne relève pas encore de l’héroïsme.

Malgré cela, la pensée dominante fait « führer » ; la grève c’est dépassé, on prend les gens en otage, on ne fait du tort qu’à soi même, on scie la branche… et patati et patata…

Comme partout peut-être, comme toujours sans doute, trois tendances s’affrontent : les non grévistes, les tièdes, les grévistes. La mise en place de ce mouvement sans précédent dans le spectacle ne se fait pas sans désillusions. Ceux-là mêmes sur qui on croyait pouvoir compter nous lâchent : « Qu’est-ce que vous nous emmerdez, ça sert à rien de faire grève ici, jouez, on est des petits comme vous… »

Autrement dit : contente toi de nous faire rire , bouffon, on te trouvera bien un croûton ! Mais c’est peut-être justement ces petits festivals, ces petits acheteurs qui seront les premières victimes de notre nouveau régime, pourrons-nous dorénavant accepter de jouer à moitié prix ou même quelquefois gratuitement ? En aurons-nous matériellement le temps, les moyens… ?

Certaines personnalités « guides » de la profession nous méprisent du haut de leurs subventions et de leurs piedestals, il faut souffrir, mériter, payer pour être artistes, mais souffrent-ils eux-mêmes beaucoup ? Les salles de prestige ne profitent elles pas indirectement de l’initiation au spectacle vivant que font des petits comédiens de rien du tout dans la rue, dans les villages, dans les banlieues, dans les écoles, dans les petits festivals. Les programmations du « In » des gros festivals ne profitent elles pas de la présence des troupes du « Off » ?

Et puis, on nous dit toujours qu’on coûte cher, qu’on ne rapporte rien, qu’on n’est pas rentable, mais les retombées économiques des festivals d’Avignon, La Rochelle, Aurillac… seraient elles aussi considérables sans les petites compagnies ?

Mais ces désillusions construisent aussi la grève et révèlent ceux sur qui on peut compter. Faire grève n’est facile pour personne, d’autant plus dans nos métiers où la représentation – aboutissement du travail – est associée à la notion de plaisir. Mais comment avoir envie de jouer quand on programme à très court terme notre agonie ?

Comment faire comprendre au public, au sens large, ce que sera le paysage culturel quand les travailleurs du spectacle qui survivent grâce à l’intermittence, auront disparu, si ce n’est en cessant d’exercer son activité quand on est un intermittent en danger ?

Comment organiser la lutte, la résistance, les actions si chacun vaque à ses occupations ?

Pour la petite histoire, le 28 juin, premier jour de grève en ce qui nous concerne, nous avons décidé de commencer le spectacle et de l’arrêter afin de marquer le public, genre « coït interrompu », en fait, le public s’est levé comme un seul homme et a applaudi (faut dire que le public de Jolie Môme c’est pas n’importe quoi ! ) et le coït interrompu a été pour notre pomme. Nous étions plus d’un(e) sur le plateau sans voix, les larmes aux yeux, parce qu’évidemment on aime notre métier et on a la chance qu’il soit merveilleux, mais ce n’est pas une raison pour accepter de le faire pour le RMI, RMA, CES, pour un pourboire, au rabais, bénévolement. C’est pour ça que grève totale ou grève ponctuelle, même si pour l’instant tout le monde rejoue, à force de manifs, d’assemblées générales, d’actions, nombreux maintenant sont les camarades « intermittents » décidés comme nous à ne pas lâcher. Donc, à suivre… Camarade public !

Enfin, bref, si on est dans la merde, on y est pas tout seuls. Rassurant non ! On y est avec nos camarades profs, personnels TOS, agents EDF, SNCF, France Télécom, postiers, emplois-jeunes, chômeurs, sans papiers, retraités ( enfin ceux qui ont passé le cap de la canicule…), nos camarades métallos de Boulogne sur Mer, nos camarades de Matra, Copenhor, de chez « Tati », Métaleurop, des verreries de Baccarat, les personnels hospitaliers, les archéologues, Alstom chantiers de l’Atlantique, Thomson Rennes, Aventis, Air France, Lu-Danone, BPA, EPCOS, RMIstes…

Et vive la convergence des luttes !

25 novembre 2003

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