14-19 [L’actualité de l’époque] – Des mutins de Kiel aux soviets de Strasbourg

À NE PAS RATER : diffusion ce soir puis en replay de 1918 : la révolte des marins
https://www.arte.tv/fr/videos/060787-000-A/1918-la-revolte-des-marins/
L'article qui suit a été écrit à partir d'extraits de :
11 novembre 1918: le drapeau rouge flotte sur Strasbourg et
l'Alsace proclame la République des soviets..., Didier Daeninckx
Novembre 1918. Le drapeau rouge flotte sur la cathédrale de Strasbourg, Umbrecht Bernard

Imaginez notre surprise lorsque nous avons découvert en préparant 14-19, La mémoire nous joue des tours, que le drapeau rouge avait flotté sur la cathédrale de Strasbourg en novembre 1918 !

Octobre 1918 : L’Allemagne impériale a perdu la guerre, mais quelques généraux ultras, dont Ludendorff veulent tenter un baroud d’honneur en prenant appui sur la puissante flotte de guerre. La troupe refuse de marcher.

Puisque cette fois, en ce mois de novembre, l’on était enfin certain de ne pouvoir l’emporter en aucun point du globe, ni sur terre, ni sur mer, l’on entendait du moins sombrer avec panache. Qui, on ? Les officiers. Les marins estimèrent pour leur part qu’ils avaient aussi leur mot à dire. Car ils étaient, eux aussi, embarqués sur ces bateaux sur lesquels les officiers voulaient mourir. Et il ne fallait pas compter sur eux dans un cas pareil. Et lorsqu’à l’heure dite on donna l’ordre d’appareiller, les chaudières étaient éteintes. Les chauffeurs non plus ne vou­laient pas mourir. A la bataille de Kunersdorf déjà, Frédéric le Grand avait eu affaire à cette répugnance toute particulière que les hommes et même les soldats éprouvent à marcher vers une mort trop certaine. Il avait hurlé : Voulez-vous donc vivre éternellement  ?

Charles Spindler

Mutineries à Kiel

A Kiel, sur la Baltique, les marins se mutinent et se constituent en Soviets. Les syndicats ouvriers les rejoignent, et des détachements d’insurgés, drapeaux rouges en tête, se rendent dans les villes voisines pour gagner les habitants à leur cause.

Une quinzaine de milliers d’Alsaciens et de Lorrains sont alors incorporés dans la Kriegsmarine, et nombre d’entre eux participent à ces événements. Certains décident de soulever leurs deux provinces natales soumises à une véritable disette, et qui sont agitées de forts mouvements de mécontentement.

Le 8 novembre, la population de Strasbourg apprend la proclamation de la République des conseils de Bavière. Le lendemain, des milliers de manifestants envahissent la place Kléber pour acclamer les premiers détachements de marins arrivés du nord de l’Allemagne. Des dizaines d’officiers sont dégradés en public. Un train d’insurgés est bloqué au pont de Kehl, et un commandant loyaliste fait ouvrir le feu. Le soldat Fir est abattu. Ses camarades prennent le contrôle de la ville jumelle de Strasbourg, de l’autre côté du Rhin, puis traversent le fleuve. La bourgeoisie allemande de Strasbourg ne cesse de faire appel aux troupes françaises, afin de mettre un terme aux troubles. Un slogan court les quartiers bourgeois: « Plutôt Français que rouges !« .

9 novembre 1918 : C’est aujourd’hui samedi, et je suis attendu chez mon ami Georges à la Robertsau. A la fin du dîner, un des comptables, la figure toute décomposée, vient nous annoncer que la révolution est à Kehl, qu’on s’est battu près du pont pour empêcher les délégués du Soldatenrat de Kiel de passer, mais que l’émeute a triomphé. Les marins sont en route pour Strasbourg et probablement déjà arrivés.
Mon ami n’est pas sans inquiétude : au lieu des Français, nous allons avoir des Conseils de soldats et Dieu sait à quels excès ils vont se livrer. L’unique chose qui pourrait nous sauver ce serait de hâter l’arrivée des Français.

Charles Spindler

Les marins révolutionnaires alsaciens se forment en Conseil de soldats de Strasbourg , et exigent du gouverneur Von Rohden la libération des détenus, la liberté de presse et d’expression, la levée de la censure sur le courrier, le droit de manifester. Les prisons ouvrent leurs portes, les Conseils se rendent maîtres des bâtiments publics et toutes les marques d’autorité comme les insignes, les grades sont supprimés. La ville se hérisse de drapeaux rouges dont l’un va même flotter sur la flèche de la cathédrale !

Soulèvement de Strasbourg

Depuis midi, le drapeau rouge flottait sur la tour de la cathédrale, mais l’orgue n’en jouait pas mieux pour autant. Seuls quelques passants levèrent les yeux.

Alfred Döblin

Toutes les forces sociales tentent de s’assurer le contrôle du mouvement en se fondant dans le Conseil des ouvriers et soldats présidé par le secrétaire du syndicat des ouvriers brasseurs, Rebholz qui annonce l’abdication de Guillaume II, à Berlin, et proclame l’avènement d’un pouvoir populaire.

Les murs de la ville se couvrent d’affiches  » Nous n’avons rien de commun avec les États capitalistes, notre mot d’ordre est : ni Allemands ni Français ni neutres. Le drapeau rouge a triomphé « . Une trentaine de commissions organisent la vie quotidienne : transports, finances, ravitaillement, démobilisation, justice… Des grèves radicales éclatent, comme celle des cheminots.

Le dirigeant social-démocrate strasbourgeois Jacques Peirotes fait appel au Grand Quartier Général français et demande aux généraux de «  hâter leur entrée à Strasbourg, la domination des rouges menaçant de prendre une fin tragique « . L’entrée dans la ville était prévue pour le 25, mais son appel est entendu. Les troupes marchent sans relâche et pénètrent dans les faubourgs le 22 novembre 1918.

Un train spécial, parti de Wilhelmshaven, et roulant à toute vapeur, passa Osnabrück, Münster, Düsseldorf, Cologne sans s’arrêter, sa cheminée lançait des flammèches, les rails vrombissaient. Ce train transportait 220 marins de la flotte de combat représentant l’avant-garde de la Révolution, des Alsa­ciens, qui tous dormaient dans les couloirs ou sur des bancs. Ils voulaient empêcher l’Alsace de tomber aux mains des Français.
Il y avait eu environ deux cent mille Alsaciens-Lorrains à Kiel et à Wilhelmshaven. (…) Puisqu’ils se trouvaient dans la marine, ils s’étaient eux aussi révoltés à Kiel…

Alfred Döblin

Entrée des troupes françaises

Le Conseil des ouvriers et soldats déclare qu’il « a rempli sa mission, même si, compte tenu des circonstances, il n’a pu réaliser son idéal politique« . Il décide de remettre l’autorité militaire entre les mains du commandement français. Le général Gouraud fera savoir qu’il ne reconnaît ni le Soviet des ouvriers et soldats, ni aucune des mesures qu’il a édictées. Le 22 novembre, le premier acte symbolique de l’armée française sera d’occuper le Palais de justice où siégeait le « Soviet de Strasbourg ». La troupe s’empare des usines, les décrets sociaux sont annulés, les salaires ramenés à leur niveau de septembre 1918, les « agitateurs » sont expulsés. On choisit les sous-préfets parmi les officiers, des commissions de contrôle de la population, présidées par un officier du 2e Bureau sont mises en place.

 

À lire cet article de L'Humanité du 8 novembre 1918
qui témoigne de l'effervescence dans les ports allemands.

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