Jolie Môme, c’est pas Hollywood !

Nous, Compagnie Jolie Môme, sommes l’objet d’attaques anonymes, d’abord, simples rumeurs et maintenant sur Internet. Tout nous est reproché, nous serions un groupe fermé, exploitant sans merci toute bonne volonté passant à notre portée, usant de harcèlement, allant jusqu’au viol. Tout ça, grâce au silence des femmes, complices ou soumises.

Metteur en scène, à l’origine de la Compagnie, directement mis en cause, je sais que ce que j’ai entrepris il y a 36 ans ne mérite pas cette haine effroyable.

Je n’ai pas l’habitude des polémiques, mais comment ne pas répondre à de telles insultes, comment ne pas lever ces doutes émis à l’encontre de ma sincérité.

Peut-être ai-je été présomptueux ? Sûrement il faut croire. Maladroit, c’est sûr…

Oui, je tente de faire vivre une compagnie de théâtre contre vents et marées, à l’écart de l’ordre institutionnel. Je préfère nos difficultés, nos drames d’amour, de santé, nos joies, nos réussites, notre fidélité et surtout celle du public envers nous, à la tristesse de devoir, dans des conditions rarement égalitaires, cachetonner dans des projets où l’on ne rencontre pas le bonheur d’une passion commune.

C’est pourquoi j’ai décidé avec mes camarades de l’époque en complicité avec Pascale, arrivée dans la compagnie à ses débuts, de vivre en troupe, de partager la galère et la confiance, de rester fidèle à un projet commun : tout le monde peut jouer, tout le monde a son mot à dire, tout le monde prend conscience que le combat contre la précarité implique une détermination collective dans la rue, dans les luttes comme sur la scène. J’aime que ceux qui font partie de la troupe restent le plus longtemps possible, trouvent leur place, s’épanouissent.

Depuis 36 ans, je suis devenu en quelque sorte un patriarche. Comme tous, je suis un être humain, non exempt de commettre des erreurs et je ne suis en aucune façon à l’écart d’éventuels reproches. Il me semble avoir pourtant toujours reconnu mes fautes, même si quelquefois il faut un peu de temps…

J’ai toujours incité chaque membre de la troupe à s’impliquer en dehors, politiquement, syndicalement, justement pour ne jamais risquer l’isolement, le repli sur nous-mêmes.

Un noyau humain, une troupe, c’est la vie, c’est aussi de l’amour, des succès, des échecs, du sexe, des drames, des aventures folles, des souffrances et des injustices malheureusement aussi parfois.

Jolie Môme n’est sans doute pas aussi parfaite que je la rêvais, que nous la rêvions, mais elle est comme elle est, elle plaît à qui elle plaît…

Oui, on peut considérer que peu à peu, au fur et à mesure des années, j’ai bâti avec mes camarades une petite Commune. Personne n’en profite financièrement, notre troupe est précaire mais à salaire égal, quelque soit son rôle, son ancienneté. Personne n’en profite non plus au niveau d’une quelconque célébrité, tout est signé « Jolie Môme ».

Oui, la troupe a souvent agi au sein des luttes sociales, des luttes politiques, en accord avec notre conscience, en répondant à de multiples demandes de soutien. En tout cas, Jolie Môme est reconnue aussi pour ça, dans la lignée du groupe Octobre. C’est un encouragement pour ceux qui luttent de nous voir brandir nos drapeaux à leurs côtés. Nous nous sommes fait reconnaître, y compris dans le cadre des luttes féministes par notre version de l’Hymne des Femmes entre autre.

Oui, parfois idéalisée, Jolie Môme a été aimée par le public et ceux qui la côtoient, et jusqu’à nouvel ordre elle l’est encore.

Un texte dégueulasse abîme maintenant la vie de la compagnie et celle de ses membres.

Jolie Môme a été, à travers moi, attaquée par la direction nationale de la CFDT pour « violation de domicile » un jour de « journée porte ouverte »… Puis, deux autres membres ont été attaqués par le MEDEF pour « violence et violence en réunion ». À chaque fois, l’accusation a été déboutée. La troupe a aussi été dénoncée par voie de presse comme la principale responsable de la casse et des affrontements lors du festival d’Aurillac 2016, nous avons même été traités « de meilleurs alliés de Daesh » par un préfet… Aujourd’hui, et c’est beaucoup plus douloureux, Jolie Môme est harcelée par un groupe de personnes qui l’ont jadis soutenue, appréciée et réciproquement.

Parmi ce qui nous est reproché, il y a cette accusation de viol qu’aurait commis l’un de nos camarades. C’est devant un tribunal que tout cela devrait se dénouer.

Le viol est un crime et grâce à la lutte historique des femmes, il est passible des assises. Jolie Môme en est convaincue et en 1984, nous avons monté Le Procès d’Aix, d’après le combat de Gisèle Halimi et Gisèle Moreau.

La justice bourgeoise et de classe, direz-vous, a largement évolué depuis quelques années, elle est à même d’entendre une personne dénonçant un viol. Elle n’est certes pas parfaite mais l’absence de recours à celle-ci est bien pire. Elle permet aux parties d’être entendues par des personnes non impliquées affectivement. Ni vous ni nous ne pouvons être juges et parties.
Alors, soyez cohérents, portez plainte.

Face à la gravité d’une telle accusation, mon premier réflexe a été de regrouper les membres de la compagnie pour comprendre et réfléchir ensemble. D’autant plus que, l’objectif premier de la plaignante était de lancer une réflexion au sein de notre équipe. Ce que nous avons fait. Mais une fois encore ni vous ni nous ne sommes juges.

La troupe a contacté la jeune femme, lui a ouvert ses portes. Pascale et moi avons proposé de la rencontrer. Nous lui avons suggéré de recourir à une médiation. Elle a refusé. La troupe lui a conseillé et lui conseille encore aujourd’hui de porter plainte si elle est convaincue de l’agression.

Oui, la libération de la parole sur les violences sexuelles est un bienfait !
Il faut que cela interroge les fonctionnements de cette société, sur les abus de toutes sortes, y compris les dénonciations calomnieuses.

Quant à moi, même si la manière dont je suis décrit me révolte, même si ce qui arrive est d’une extrême gravité, même si cette haine à notre encontre est effroyable, contre vents et marée, je vais, avec la troupe, continuer nos combats, forts du public et de nos soutiens.

À bientôt.
Michel Roger, Compagnie Jolie Môme

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