26/01/2018 – Reporterre – La justice donne raison à Jolie Môme contre le Medef – qui sera poursuivi

Source Reporterre – 26 janvier 2018 – Lorène Lavocat

Jeudi 25 janvier, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé la relaxe de Loïc Canitrot, membre de la compagnie Jolie Môme et syndicaliste. Le Medef avait porté plainte contre lui pour violences en réunion lors d’une occupation du siège du syndicat patronal. L’avocate de Loïc Canitrot a décidé d’attaquer le Medef pour dénonciation calomnieuse et violences.

Il a mis sa chemise rouge des grands jours. Ce jeudi 25 janvier, après un an et demi de procédure, Loïc Canitrot, membre de la compagnie Jolie Môme et militant syndical de la CGT Spectacle, comparaît pour violence en réunion devant le tribunal de grande instance de Paris. Sur le parvis glissant face au Palais de justice, ses camarades agitent des drapeaux rouges à travers la bruine. Ils sont une quarantaine encapuchonnés, dont le député François Ruffin, venu « soutenir son ami » : « Loïc, c’est un copain, je lui fais confiance, s’il dit qu’il n’a pas tapé l’agent de sécurité du Medef, c’est que c’est vrai, même si la justice a l’air de penser le contraire. »

Car c’est bien là le nœud de cette invraisemblable affaire : accusé sans preuve sérieuse d’avoir frappé un agent de sécurité lors d’une action non violente au siège du syndicat patronal pendant les manifestations du printemps 2016 contre la loi Travail, le militant a dû batailler pendant près de dix-huit mois pour prouver son innocence.

Dans la 28e chambre correctionnelle, les soutiens de Loïc se serrent sur les étroits bancs de bois. La salle est comble, mais ni l’agent de sécurité, Philippe Salmon, ni le Medef ne sont présents, pas plus que leurs avocats. « Tout ça n’est pas très sérieux de la part de la partie civile, remarque le président du tribunal, Dominique Blanc. C’est beaucoup de bruit pour rien. » Le juge ne cache pas son agacement quand il saisit en soupirant l’épais dossier qui étaye les faits : « On dirait l’instruction d’une longue enquête, c’est impressionnant. »

« Le Medef veut faire peur aux travailleurs qui osent relever la tête »

M. Blanc reprend l’histoire, égrainant les pièces. « Le 7 juin 2016, les policiers sont requis au siège social du Medef, lit-il, un procès-verbal à la main. Le responsable de la sécurité les informe d’un envahissement du lieu avec violence. Quand ils arrivent, l’ambiance est calme mais M. Salmon leur indique qu’il a reçu deux coups de poing et désigne Loïc Canitrot comme l’auteur de l’acte. Il parle d’une atmosphère de lynchage et explique qu’il a dû se défendre contre le comédien en lui donnant un coup de pied aux testicules. »

Cette version des faits, corroborée par un collègue de M. Salmon, servira de fondement à l’enquête. Loïc Canitrot s’est donc retrouvé en garde à vue. Menottes, prise d’ADN, transfert au dépôt. 48 heures plus tard, le parquet, représentant de l’État, a confirmé l’inculpation de Loïc Canitrot pour violence en réunion. Sans que les vidéos des caméras, présentes en nombre au siège du syndicat, n’aient été consultées. Sans que d’autres intermittents présents lors de l’action n’aient été entendus.

Appuyé par Me Irène Terrel, M. Canitrot a obtenu du juge Blanc qu’un supplément d’enquête soit mené. Malgré la mauvaise volonté manifeste du Medef, les policiers ont récupéré et visionné les enregistrements vidéos, entendu plusieurs témoins, confronté les points de vue. Après de longs mois d’investigation, ils ont reconstitué un puzzle bien différent.

« L’action s’est déroulée dans le calme, avec une ambiance bon enfant, jusqu’à l’arrivée de M. Salmon, visiblement très remonté, raconte le président du tribunal. Il a saisi le téléphone d’une manifestante en train de filmer, M. Canitrot a tenté de le récupérer, un autre militant lui a arraché ses lunettes afin de les “échanger” contre le téléphone. Puis M. Salmon s’est rendu à l’étage, dans son bureau, a invectivé à nouveau un manifestant, puis a frappé M. Canitrot aux parties génitales. M. Canitrot n’a jamais montré un comportement violent. » Un tempérament « déterminé et pacifique » confirmé par Arlette Laguiller, appelée comme témoin en tant qu’amie de longue date du membre de Jolie Môme. Pour la militante trotskiste, le mobile est clair : « Le Medef veut faire peur aux travailleurs qui osent relever la tête. »

« Ne transformez pas ce tribunal en tribune ! », plaide le président, sourire en coin. C’est donc sous couvert d’une « argumentation logique permettant d’éclairer les motivations de Loïc » que le chercheur Frédéric Lordon, lui aussi cité comme témoin, se livre à un réquisitoire contre le Medef : « Il est de bonne logique d’aller porter la parole contestataire directement auprès de ceux qui font nos politiques. Or, partout dans les politiques économiques et sociales de ces vingt dernières années, on trouve les empreintes du Medef. Elles naissent de parents patronaux et gouvernementaux, mais le patronat voudrait une paternité sous X, sans responsabilité. »

« C’est une forme de répression politique, cautionnée en partie par le parquet »

Le parquet reconnaît quant à lui à demi-mot avoir mené une « enquête incomplète » dans un premier temps, et demande la relaxe. Pour le juge, l’affaire paraît entendue. Après un quart d’heure de délibéré, il confirme la relaxe.

Mais Me Terrel n’entend pas en rester là : « Mon client a bien failli subir une erreur judiciaire, il a passé un an et demi en étant présumé coupable, alors qu’il était innocent et victime, souligne-t-elle. Le Medef, par l’action de son responsable de la sécurité, a tout fait pour que cette manifestation pacifique dégénère, afin de discréditer le mouvement social. » L’avocate a donc décidé de se constituer partie civile et d’attaquer le Medef pour dénonciations calomnieuses et violences.

Au sortir de l’audience, elle poursuit sa plaidoirie indignée : « C’est une forme de répression politique, cautionnée en partie par le parquet, qui n’a pas donné suite à la plainte de Loïc pour le coup reçu aux testicules mais qui a préféré le poursuivre pour des faits — des coups de poing — qui n’étaient étayés d’aucune preuve. Il a fait montre d’une prise de partie outrancière en faveur des plus riches et des puissants. » Habituée des tribunaux, elle constate que « trop de gens arrivent présumés coupables et sont passés à la moulinette de cette institution qui écrase. Pour arrêter le train de cette répression, c’est un travail titanesque. Il faut être déterminé et bien entouré, comme l’a été Loïc. »

Au côté de son avocate, Loïc Canitrot rappelle que « 4.300 poursuites judiciaires ou patronales sont en cours à la suite des manifestations contre la loi Travail ». Dehors, il retrouve la pluie, ses camarades de lutte et le mégaphone : « Cette relaxe est une victoire pour toutes les victimes des politiques sociales et économiques faites par le gouvernement et le Medef, scande-t-il. Il faut qu’ils sachent que nous ne lâcherons rien, et que nous retournerons autant de fois que nécessaire occuper le siège social du patronat ! »

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