01/09/2017 – Quand 20 000 nazis états-uniens se réunissaient à New York…

Source Arrêt sur Images – 14/08/2017Juliette Gramaglia

Capture d’écran du Tweet d’Ian Bremmer, 13 août 2017

Retour vers le passé. Alors que plusieurs responsables politiques dénoncent l’absence de condamnation des mouvements de suprémacistes blancs par Donald Trump, quelques jours après la mort d’une militante anti-raciste à Charlottesville, quelques médias et intellectuels américains font le rapprochement entre le rassemblement de la droite ultra-radicale et nationaliste ce 12 août et… les rassemblement d’Américains nazis dans les années 1930.

C’est une image qui a resurgi après le rassemblement de la droite ultra-nationaliste, composée de l’alt-right, du Ku Klux Klan, de néo-nazis et de suprémacistes blancs, à Charlottesville (Virginie) qui a fait un mort samedi 12 août, après qu’un militant néo-nazi au volant d’une voiture a foncé dans la foule de contre-manifestants.

La photo date des années 1930, et montre un rassemblement de plusieurs milliers de nazis, regroupés autour d’une croix gammée dans la salle de Madison Square Garden à New York. Elle n’a pas été prise en Allemagne, mais bien aux États-Unis. Avec cette photo, partagée notamment par l’universitaire new-yorkais Ian Bremmer et retweetée plus de 14 000 fois avec la mention « A garder en mémoire » (et datée de 1939 alors qu’elle daterait plutôt selon Mashable de 1934 et montrerait un autre rassemblement nazi aux États-Unis), c’est une facette moins connue de l’histoire du nazisme qui refait surface. Celle des mouvements nazis américains dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale.

Kuhn à la tribune près de Los Angeles, 1939 photo publiée par le site The Atlantic, 5 juin 2017

Des nazis au Madison Square Garden ? Remontons le temps. En 1933, l’association « Amis de la nouvelle Allemagne » est fondée par un membre du NDSAP, le parti nazi allemand, immigré aux États-Unis. Le groupe, qui s’en prend violemment aux Juifs, aux communistes et au Traité de Versailles, compte quelques milliers de membres, sans qu’on sache précisément combien. Il manifeste dans les rues, tient des réunions, et son but est d’unifier sous sa bannière les Américains d’origine allemande. Mais dès l’automne 1935, le régime nazi appelle les Allemands résidant aux États-Unis à quitter ce groupe, considéré comme trop « indiscipliné » pour servir les intérêts allemands, selon ce que raconte notamment l’hebdomadaire Chicago Reader, qui évoquait l’histoire des mouvements nazis américains en mars 2016. A sa place, en 1936, cette association est remplacée par le « Bund germano-américain » (« Bund » signifie association ou fédération en allemand), dirigé par un ingénieur en chimie et ancien soldat allemand naturalisé américain, Fritz Julius Kuhn. Ce dernier se targuait également selon le New York Daily News d’avoir marché aux côtés d’Adolf Hitler, lors du coup d’État manqué de ce dernier en 1923 en Bavière.

On ignore le nombre total de membres que compta ce Bund, réservé aux Américains d’origine allemande. D’après le site du mémorial de l’Holocauste des États-Unis, l’organisation aurait compté jusqu’à 25 000 membres, parmi lesquels 8 000 SA en uniforme. Outre une propagande anti-juive et anti-communiste, le Bund ouvre plusieurs camps de jeunes, sur le modèle des Jeunesses hitlériennes allemandes.

20 000 nazis au Madison Square Garden

En quelques années, le nombres de manifestants aux rassemblements du Bund augmente de manière exponentielle. le 20 février 1939, quelques 20 000 personnes se rassemblent au Madison Square Garden de New York. Ce rassemblement constituera le point culminant du Bund : en juin 1939, ils n’étaient plus que 4 à 8 000 à marcher à Chicago, selon des médias locaux de l’époque évoqués par le Chicago Reader en 2016.

Camp du Bund germano-américain dans le New Jersey, en 1937, photo publiée sur le site The Atlantic, 5 juin 2017

Ce jour-là, les membres du Bund sont venus célébrer l’anniversaire de Georges Washington, le « premier fasciste d’Amérique » selon le leader du mouvement, Kuhn. Ce dernier s’en prend aux Juifs et aux communistes, dénonce le « New Deal » de Roosevelt, qu’il appelle « Rosenfeld », comme un « Jew Deal » (« accord juif »). Face à ces sympathisants nazis, parmi lesquels 3 000 hommes en uniforme, selon le récit du New York Daily News, une vaste manifestation antinazie est organisée, rassemblant, d’après l’historien Arnie Bernstein cité par la BBC et auteur d’un livre sur le Bund et Kuhn, une centaine de milliers de personnes – soit bien plus d’opposants au nazisme que de soutiens. Des affrontements éclatent, et un homme réussit à monter sur scène pendant le discours de Kuhn en signe de protestation, avant d’être évacué par la police pour sa propre sécurité.

Après cet événement, le Bund survit encore quelques années – mais pas son leader. Une enquête lancée par la justice américaine dans les finances de l’association après ce rassemblement géant révèle que Kuhn a détourné plus de 14 000 dollars pour financer, semble-t-il, ses aventures amoureuses. Bien que le Bund n’ait pas porté plainte contre lui, lui restant loyal, le procureur de New York de l’époque, Thomas Dewey, le poursuit, et Kuhn est condamné en décembre 1939 pour détournement de fonds et fraude fiscale. Déchu de sa nationalité américaine en 1943, il est renvoyé en Allemagne en 1945, où il meurt en 1951 dans l’indifférence générale. Le Bund, lui, disparaît en 1941, lorsque les États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne.

A Charlottesville, « Kuhn aurait été en première ligne« 

Rassemblement au Madison Square Garden, 20 février 1939 Photo publiée sur le site The Atlantic, 5 juin 2017

Ce ne fut cependant pas la dernière présence de nazis sur le sol américain, comme ailleurs. Ainsi que le rappelle notamment le magazine The New Yorker, des manifestations néo-nazies eurent lieu dans les années 1960, notamment à Chicago. Aujourd’hui encore, les néo-nazis n’ont pas disparus. « «Libérez l’Amérique, libérez l’Amérique, libérez l’Amérique!», voilà ce que Fritz Kuhn cria lors de son dernier rassemblement du Bund au Garden en 1939, écrit ce 14 août le New York Daily News, qui compare les deux événements et les dénonce violemment. Il aurait parfaitement trouvé sa place ce week-end en Virginie. Il aurait été en première ligne« .

Au-delà des similitudes entre les deux manifestations, dont l’ampleur reste cependant bien différente – on parle de centaines de manifestants à Charlottesville – que retenir de la comparaison ? Pour le magazine The New Yorker, c’est surtout la réaction politique d’aujourd’hui qui suscite la plus grande inquiétude. « Suite au rassemblement du Bund au Madison Square Garden de New York, le maire Fiorello LaGuardia [qui n’avait pas interdit le rassemblement, ndlr] ordonna une enquête sur la conformité de leurs impôts – une décision qui mit au jour un détournement de fonds qui se révéla fatal à l’organisation. Dans ce contexte, la décision de Trump en février de retirer un programme fédéral de lutte contre les violences extrémistes des suprémacistes blancs (tout en maintenant le focus sur les terroristes musulmans) est parlant« . D’autant plus quand on sait que le président a renvoyé dos à dos les deux groupes de manifestants du 12 août à Charlottesville, et s’est un moment refusé à condamner directement l’idéologie nationaliste des manifestants ultra-radicaux – jusqu’à ce lundi 14 août, où il a nommément condamné la « violence » du KKK, des néo-nazis et des suprémacistes blancs.

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