Article de Politis – Le bel assaut du Cabaret d’urgence

Source Politis – Ingrid Merckx

cabaretdurgence-entreeEn prévision du procès de Loïc Canitrot prévu le 8 décembre, la compagnie Jolie Môme a organisé, dimanche, un « Cabaret d’urgence » au Théâtre de l’Épée de bois, à Paris. Salle comble pour cet événement qui a passé en revue tous les chapitres de la lutte 2016.

Ils jouent les interludes. Elle, en agitateuse rigolote. Lui, en képi. Le décor est noir et rouge, aux couleurs de Jolie Môme, la jolie compagnie qui organise ce Cabaret d’urgence. Une contrebasse trône en fond de scène. Côté Jardin, l’estrade de la rythmique : piano, guitare, accordéon. Côté cour, les deux trublions. Il chante et siffle. « Qu’appelles-tu donc ? », lance la rigolote. « La relève ! », répond l’autre qui introduit les protagonistes du nouveau numéro : la compagnie Tamèrantong. Une bande de mômes multicultis à faire pâlir les défenseurs de la France blanche et judéo-chrétienne, venus du 9-3 de surcroît. « Du 93 ? », défaille la rigolote s’improvisant bourgeoise outrée. Elle n’est pas au bout de ses peines car la jeune troupe se lance dans une scène de son prochain spectacle où des villageois sur les dents tentent de déloger des bohémiens pas résignés. Ça crie et ça s’énerve, ça en vient aux mains quand… « Si vous voulez savoir la suite de l’histoire, venez voir le spectacle », coupe la chef de troupe de cette compagnie accueillie à la Belle étoile de Saint-Denis, le théâtre de Jolie Môme, grande sœur invitante. Puis les ados, rejoints sur scène par des petits frères de cinq ou six ans, entonnent un chant tzigane en hommage à Loïc.

Loïc Canitrot, le grand frère, l’administrateur de Jolie Môme. Loïc, dont le mètre quatre-vingt-dix et le sourire désarmant personnifient la lutte des intermittents contre le Medef depuis le 7 juin. Ce jour-là, Loïc a été frappé par le chef de la sécurité du Medef dans les locaux du syndicat des patrons lors des négociations sur l’assurance chômage. Le procès qui l’oppose à l’organisation patronale se tiendra le 8 décembre prochain et s’annonce comme le point culminant du combat pour la défense d’un régime spécifique aux professionnels du spectacle, mais aussi des travailleurs contre le patronat en pleine lutte contre l’application de la loi travail. Loïc était la star de ce Cabaret d’urgence organisé par sa compagnie le 16 octobre, au Théâtre de l’Épée de bois, à la Cartoucherie du bois de Vincennes, sur le devant duquel flottaient des drapeaux rouge à étoile noire. Soit un spectacle encadré et pensé par Jolie Môme où les interventions politiques se sont succédées comme autant de numéros. Certains rompant le ton engagé-enragé-enjoué pour du discursif habituel mais plus gai et railleur qu’à l’accoutumée. D’autres jouant franchement le jeu de la mise en scène voire en musique.

Concentré de résistances

« Il faut rendre un hommage appuyé à la compagnie Jolie Môme qui est un acteur central du mouvement social entamé ce printemps contre la loi travail », résume Jean-Baptiste Ayrault du collectif Droit au logement. Il y a eu l’occupation de l’Odéon, et celle de la Comédie-Française, « où je n’étais pour ma part jamais rentré », confie Olivier Besancenot quand vient son tour de monter sur les planches. « Il y a eu les manifestations contre la loi travail à la fin desquelles ceux qui n’avaient pas envie de rentrer chez eux convergeaient vers la place de la République », rappelle un contrebassiste dans une ode à Loïc bien tournée reprise par une salle pleine à craquer. Il y a aussi les vingt ans du mouvement de défense des sans-papiers lancé par l’expulsion de familles réfugiées dans l’église Saint-Ambroise de Paris, souligne Jean-Claude Amara de Droits devant. Et puis l’état d’urgence, la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Nuit debout, les ZAD, le procès des Goodyear… Autant de sujets qui nourrissaient une mise en scène de résistances tissées.

Dans la salle, un public ami, conquis, militant en diable. De la graine de manifestants contre l’état d’urgence qui débordaient jusque dans les couloirs où s’agglutinaient des retardataires prêts à patienter plus de trente minutes dans l’espoir de pouvoir loger d’ici à 21 heures un talon ou une fesse dans les gradins remontés à bloc. Fredo des Ogres de Barback, Thomas Pitiot, les Fils de Teuhpu, Gérard Mordillat, Agnès Bihl, Waltrudes sont venus prêter leurs instruments et leurs voix. Mais aussi François Ruffin de Fakir, la Parisienne libérée, Hervé Kempf de Reporterre, Pierre Rimbert du Monde diplomatique, Agathe Marin ex PSA-Aulnay, Denis Gravouil de la CGT Spectacle, Xavier Mathieu ex-Continental, Mickael Wamen (Goodyear), Eric Coquerel (PG), Didier Paillard (PCF), Julien Bayou (Verts) ou Arlette Laguiller… Il y en avait pour tous les goûts et tous les chapitres de la grogne 2016 jusque tard dans la soirée, les spectateurs renonçant à entrer en profitant pour prendre un bain de soleil ou boire un verre dans la cour gigantesque et pleine de verdure de cet oasis si singulier qu’est la Cartoucherie. Lieu d’intervention artistique et lieu d’intervention tout court. Mais en musique, et dans une manifeste allégresse.

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