17/06/2016 – Témoignage d’un blessé à la manif du 14 juin à Paris

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Voilà le témoignage de l’un des nombreux manifestants blessés lors de la manifestation du 14 juin à Paris.
Source Paris-luttes.info

Ce jour où tu étais là

Dominique Faget / AFP / Getty Images

48h après la manif du 14, les images sont toujours bien présentes. Relayées sur les réseaux sociaux mais aussi en boucle dans ma tête. Enfin pas toutes, parce qu’après avoir reçu un coup de matraque sur le crâne, j’ai perdu connaissance. Alors forcément, il y a comme un léger voile, une brume qui se dissipe au fur et à mesure que les témoignages arrivent.

Ce dont je me souviens me laisse encore un goût de sang dans la bouche avec des arômes de rage et de larmes salées qui mettront du temps à sécher. Je revois ce gars que je ne connais pas, que je n’ai jamais vu mais qui, instinctivement, humainement devient un camarade. Il gît à même le sol. Un trou béant dans le dos. Suffisamment béant pour se dire que là, quelque chose de terrible vient de se produire. Nous sommes quelques unes et quelques uns à le rejoindre, l’estomac noué en nœud de marin. Nous crions. « Médics ! Médics ! ». Ceux-là, à l’heure où j’écris ces quelques lignes, je les prendrais bien dans mes bras, toutes et tous, les unes après les uns et même les autres si je le pouvais.

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Le manifestant est touché à la colonne vertébrale et on l’apprendra le lendemain, sans atteindre la moelle épinière. Une vertèbre fracturée et la nécessité d’une greffe de peau et de chair.

On se laisse guider par les ordres donnés. Des ordres justes. Pas des ordres criminels qui permettent de telles blessures. Des ordres qui vont dans le sens de la vie d’un gars, qui nous parait mort, assassiné par la police. On me demande de faire un point de compression. Je m’exécute. Si j’avais été devant un écran, j’aurais sans doute tourné la tête pour ne pas regarder. Mais là, non. C’est Bizarre. Cette envie commune de lui donner les premiers soins est bien plus forte que la peur qui nous pétrifie sur place. Nos gestes sont coordonnés, peut-être pas au millimètre près, mais ils s’harmonisent les uns avec les autres. Au dessus de nous, ça se resserre et ça piétine. Je lève la tête et je les vois. Ils arrivent en nombre, droit devant le bouclier qui s’était formé autour de nous. Filles et garçons se tiennent par la main. Courageusement et fermement. Ils préviennent. « -Y a un blessé grave, là ! ». Mais ceux que j’ai vu arriver en nombre s’en foutent. Ils ne sont pas la pour ça. Ils ont des cibles devant leurs yeux et ils les choisissent, impunément. Je me relève, cédant ma place à un autre. Je prends place dans le bouclier. Je croise le regard de l’un deux. Je lui montre la personne qui est au sol en insistant sur le fait que oui, là, c’est chaud.

Et puis soudainement, tout le monde s’est tu. Plus un bruit. J’ai senti un truc chaud couler le long de mon visage et j’ai vu le sol se rapprocher à une vitesse grand v avant de fermer les yeux pour les ouvrir quelques minutes plus tard.

Il y a des gens au-dessus de moi. Des gens qui me regardent, des gens qui me parlent et qui s’activent à me mettre des compresses sur la tête. Je ne sais pas où je suis ni ce que je fais par terre. J’essaye de répondre aux questions que l’on me pose mais les mots ne veulent pas sortir. Une lacrymo tombe, pas très loin. Suffisamment proche pour me couper la respiration. On me met un masque sur la bouche, on me protège, on m’entoure. C’était sans doute toi, toi et toi aussi. Des visages inconnus et pourtant si bienveillants. Je reviens à moi avec le son qui va avec. Le bruit est assourdissant. Des cris de rage, de désespoir. Et des ordres donnés. Les mêmes ordres justes que je recevais je ne sais plus trop combien de temps avant. Ça m’a paru interminable, conscient du danger autour de moi mais en sécurité grâce à ce petit groupe qui faisait bloc pour me sortir de là.

Je m’en suis sorti avec un trauma crânien et quelques agrafes. Mais j’en suis sorti avant tout grandi. Et infiniment reconnaissant. Car ce qu’il faut retenir dans tout cela, c’est Vous.

Vous, ces inconnu(e)s, que l’on ne voit pas, que l’on ne montre pas parce que c’est plus vendeur de montrer des types qui cassent des vitres que de montrer des gens qui peuvent sauver une vie.
Vous qui, sans sourciller, bravez le danger pour porter secours à la première ou au premier venu qui en aurait besoin.

Vous, les street-medics, les camarades, les anonymes, les concerné(e)s.
Vous, qui ne faites qu’un pour faire bloc pour un seul.
Merci.
Merci d’avoir été là.
N’abandonnons pas.

Gaël

La vidéo qui montre les faits :

Vidéo de NnoMan

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